Lettre d'Information Synphonat
Numéro 8 - Mai 2011

Bonjour,

Dans ce numéro, nous nous sommes intéressés à la place qu'occupe la nature dans notre quotidien.

Un fossé évident s'est creusé entre, d'une part, l'espace que nous souhaitons lui consacrer dans nos paysages et dans nos assiettes et, d'autre part, le traitement que lui a réservé notre société moderne.

Pourtant, des champs d'études qu'elle nous offre aux étonnantes découvertes qu'elle recèle encore, l'actualité semble nous inviter à lui rendre la position centrale qu'elle occupait autrefois, au cœur du fonctionnement de nos groupes humains.


L'équipe Synphonat




1. Aliments de proximité et patrimoine agricole commun

par Jean-Claude, Dirigeant

Beaucoup de monde s'accorde sur la nécessité de relocaliser la production agricole et de favoriser les circuits courts.

Des productions de proximité de légumes, de fruits et de viande, bio si possible, permettent de diminuer les coûts de transport, de consommer des produits frais, de qualité et d'avoir une empreinte écologique minimum. De plus cela favorise la polyculture qui préserve la biodiversité, diminue les maladies et génère de l'emploi local.

Depuis une cinquantaine d'années, tout était mis en œuvre pour favoriser la monoculture, quitte à faire produire nos légumes ou céréales à l'autre bout du monde à grand renfort de pesticides et d'engrais. Aujourd'hui, le succès des AMAP atteste du regain d'intérêt des populations pour un retour à une agriculture diversifiée de proximité.

Cette nouvelle approche est difficile à mettre en œuvre pour une raison toute simple : les agriculteurs ont des difficultés à trouver des terres à un prix acceptable près des centres urbains où réside la majorité des consommateurs.

La spéculation foncière rend quasiment impossible l'acquisition des terres nécessaires à cette solution d'avenir.

Le constat est effrayant : 160 hectares de terre sont recouverts de béton chaque jour et, chaque semaine, ce sont 200 fermes qui disparaissent.
Pourtant, là où est le problème se trouve la solution. L'association Terre de Liens s'est créée pour palier cette difficulté en permettant à des agriculteurs de travailler la terre et de produire une nourriture de qualité à proximité des consommateurs.

Cette association, grâce à l'épargne de particuliers conscients de l'urgence d'inverser ce processus de bétonnage et de perte de terres agricoles, rachète fermes et terrains afin de préserver sur le très long terme ce bien commun et précieux qu'est la terre.

L'initiative Terre de Liens repose sur différentes structures :

  • des associations locales dans lesquelles des bénévoles agissent au quotidien pour faire connaître Terre de liens et ses valeurs,
  • une association nationale qui coordonne l'ensemble du mouvement, assure sa cohérence et se porte garant de sa charte,
  • la Foncière Terre de Liens regroupe les actionnaires solidaires qui permettent l'acquisition de fermes,
  • le Fonds Terre de Liens qui reçoit des dons et des fermes de donateurs.

Bien évidemment Terre de Liens ne se contente pas d'acquérir des terres, elle accompagne les porteurs de projets dans leurs démarches, sensibilise la société civile en l'informant et la sollicitant, gère les fonds récoltés, interpelle les acteurs politiques, syndicaux et associatifs pour replacer la gestion du foncier au cœur de leurs préoccupations.

Née en 2003, Terre de Liens a soutenu plus de 250 projets dans toute la France.

Chacun peut soit adhérer à l'association, soit devenir actionnaire de Terre de Liens. Il est même possible de flècher son épargne pour l'acquisition d'une ferme dans une région donnée, pour une activité particulière ou même sur un projet identifié.

C'est donc une façon de se réapproprier du même coup notre alimentation et nos terres. C'est également une alternative à l'organisation classique de la filière argiculture intensive / intégration agro-alimentaire industrielle / grande distribution alimentaire.

Références :


2. Ecologie, le laboratoire du réel

par Frédéric, Responsable Marketing Multicanal

Réchauffement climatique, montée du niveau des océans, transformation des écosystèmes, ... A l'heure où l'on augure de profonds bouleversements environnementaux et où l'on s'efforce d'en anticiper les conséquences sur les migrations des populations concernées, des scientifiques cherchent à comprendre les mécanismes mêmes des déplacements géographiques des espèces.

Tandis que d'aucuns en sont déjà à préconiser le recours accru à l'entomophagie (alimentation à base d'insectes) pour faire face aux défis qui se profilent en matière de nutrition, des équipes du CNRS ont, elles, mis en place un dispositif hors norme pour, très en amont de ces possibles adaptations, étudier la manière dont le changement climatique influe sur la faune.

Le Métatron, cet instrument exceptionnel installé en Ariège, se compose de 48 cages de 100m² chacune, reliées entre elles par des couloirs permettant la circulation et dont l'humidité et la température sont contrôlées individuellement par ordinateur. Les biologistes de la Station d'Ecologie Expérimentale de Moulis y observent actuellement sur deux modèles animaux, le lézard et le papillon, la façon dont les populations s'adaptent aux évolutions de leur milieu.

Destinée à accueillir des projets de recherche d'équipes provenant du monde entier, l'installation repose également sur deux grottes aménagées. Elle doit prochainement s'enrichir de nouveaux bâtiments, de laboratoires et même d'une serre et d'une volière susceptibles d'y faire migrer les écologues de tous poils et de tous horizons.

Non cantonnées aux sphères purement théoriques, les recherches menées au Métatron devraient, à terme, conduire à des solutions très concrètes de protection de la biodiversité, à l'image d'initiatives telles que les corridors végétaux et aquatiques qui commencent à fleurir, des parcs naturels régionaux jusqu'aux abords de nos cités.

Références :


3. Quand tradition et nature inspirent l'innovation

par Fabien, Responsable du site de Villemur-sur-Tarn

L'observation par un pharmacologue indonésien, le Professeur Bambang Parjogo Eko Wardojo de l'usage de la pharmacopée traditionnelle par différentes tribus papoues a permis de mettre au point une pilule contraceptive pour les hommes.
Cette invention, qui va probablement avoir un impact considérable pour certains pays aux taux de natalité élevés, est issue d'une tradition ancestrale qui jusqu'ici était passée totalement inaperçue.

Contrairement à ce qui se passe dans d'autres parties du monde ou le versement de la dot est un préalable à toute union, certaines ethnies de Papouasie autorisent la célébration de mariages, même si la dot requise n'a pas encore été rassemblée.
La condition sine qua non est que le mari ne mette pas sa femme enceinte tant que la somme requise n'a pas été réunie.
Pour parvenir à tenir cet engagement l'homme (et non la femme) utilise un contraceptif naturel. Il mange des feuilles de gendarusse (justicia gendarussa) pour empêcher qu'il y ait fécondation. Quand la dot est enfin rassemblée, l'époux reçoit alors le feu vert et cesse d'ingérer cette plante.

Le gendarusse est une plante asiatique qui pousse en buisson dans les plaines de basse altitude. En Indonésie, elle est couramment utilisée, de manière empirique, dans les campagnes, pour soigner les migraines, les rhumatismes, et les douleurs, la toux, l'asthme, mais elle a d'autres vertus que connaissent les communautés tribales indonésiennes bien qu'elles ignorent tout de sa composition chimique.

La gendarusine, principe actif du gendarusse, est capable d'inhiber une enzyme sécrétée par les spermatozoïdes : la hyaluronidase. Cette enzyme permet, lorsque le spermatozoïde entre en contact avec l'ovule, de dissoudre la paroi de l'ovule et du coup de le féconder. Inhiber cette enzyme revient à empêcher le spermatozoïde de pénétrer dans l'ovule. En neutralisant l'activité de la hyaluronidase, le gendarusse fait donc office de contraceptif masculin, ce que les Papous ont donc empiriquement compris depuis fort longtemps.

Dès que le Professeur Bambang a compris le mécanisme d'action du gendarusse, la production de masse a pu être envisagée et les tests cliniques, préalables à toute mise sur le marché , ont débuté en décembre 2010.

Selon ce scientifique, ce sont les recherches en ethnobotanique menées à l'Université de Gadjah Mada (Yogyakarta) sur le gendarusse qui l'ont incité à s'intéresser à cette plante dès 1987. Depuis, fort de son expérience, il s'est donné pour mission de transformer les usages traditionnels en savoirs modernes, et d'encourager ses confrères chercheurs à s'inspirer de cette science empirique.

De fait, sa pilule contraceptive l'a conduit dans plusieurs congrès internationaux, où il défend le droit à des moyens contraceptifs alternatifs, à partir de plantes tropicales et plutôt destinés aux hommes.

Cet exemple démontre qu'en Indonésie les sociétés traditionnelles utilisent très intelligemment leurs connaissances des plantes médicinales pour se soigner et que celles-ci, associées a de la curiosité scientifique et de l'ouverture d'esprit, peuvent mener à de grandes innovations.

Il est vrai que la position européenne qui se construit autour de la directive 2004/24/CE ou THMPD (Traditional Medicinal Products Directive) semble aller totalement à l'encontre de cet exemple indonésien en niant purement et simplement la notion d'usage traditionnel.
Pourtant cette directive part d'une bonne intention : simplifier l'enregistrement d'une substance à effet thérapeutique sur la base de son usage traditionnel. A posteriori, il s'avère que la procédure d'enregistrement est extrêmement compliquée, coûteuse et donc fortement discriminatoire.
De fait, seuls 200 médicaments à base de plantes ont été approuvés par l'Agence Européenne du Médicament (EMA) et la liste des plantes autorisées ne comprend que 149 espèces sur les 600 initialement envisagées.
La faute en revient essentiellement à des méthodes d'évaluations inadaptées, et en filigrane, on devine une résistance, voire un refus, de reconnaître la notion d'"usage traditionnel".

L'impossibilité d'utiliser et de commercialiser les plantes médicinales européennes qui ne rentrent pas dans le cadre réglementaire de la directive 2004/24/CE, les fera inexorablement tomber dans l'oubli et reviendra donc a tirer un trait sur tout un pan de connaissances ancestrales, alors que, comme l'illustre l'exemple indonésien, la tradition peut être une source d'innovation et d'inspiration considérable. Pour résumer, on peut dire que, du fait d'une réglementation parfois inadaptée, l'élaboration de ce type de pilule contraceptive masculine, n'aurait jamais pu voir le jour en Europe.

Référence :

Crédits photographiques : Fabrice Lejoyeux, Liz West, Alastair Rae, Taro Taylor

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