Valeurs Nature

31 - juin 2013

La Lettre d'Information de Synphonat

Dossier de juin
Génériques, Vessies et Lanternes

Dossier de juin - Génériques, Vessies et Lanternes

Le 7 juin, un pharmacien malouin tire la sonnette d'alarme : une de ses clientes, traitée au Furosémide, lui a rapporté une boîte de ce générique du Lasilix dans laquelle des comprimés de Zopiclone, un somnifère, auraient été conditionnés par erreur.

L'ANSM déclenche une alerte nationale et rappelle les lots de médicament concernés. Teva, le laboratoire qui commercialise le produit incriminé, fait l'objet d'une perquisition, ses lignes de conditionnement sont contrôlées, environ 70000 comprimés sont inspectés et, de fil en aiguille, l'information se propage, avec des niveaux de précision très aléatoires.
Ici, trois décès de patients traités au Furosémide sont considérés comme suspects, là, la qualité des génériques, leur conformité au principe actif du princeps sont interrogées, là, enfin, l'opacité de leur provenance ou encore les artifices et compromis inéluctables induits par la recherche d'un prix de vente réduit sont pointés du doigt.

...

Après deux semaines d'emballement, l'ANSM lève l'alerte et, nous, nous vous convions à une petite séance de relecture de cette actualité.

Dans un premier temps, un rapide rappel - sans grande originalité - sur les médicaments génériques semble utile.

Un médicament générique est une préparation équivalente à un produit que l'on appelle princeps, dont le principe actif a fait la preuve de son service thérapeutique. La copie est possible quand la période d'exploitation exclusive liée au brevet a expiré, c'est-à-dire une quinzaine d'années après sa mise sur le marché. Elle peut comporter le nom du principe actif (Dénomination Commune Internationale = DCI) ou un nouveau nom de marque. Son coût est en principe, lors de sa sortie, plus bas que celui du médicament originel.
Pour obtenir son autorisation, un médicament générique doit montrer sa bioéquivalence, à partir d'un test simple sur quelques sujets sains. On vérifie que l'assimilation et l'élimination sont comparables, c'est-à-dire que le principe actif arrive en même quantité dans le sang.

En France, c'est entre 1993 et 1995 que les politiques publiques prennent un tournant décisif en la matière. Les autorités sanitaires encouragent la prescription de médicaments génériques par les professionnels de santé dans l'objectif avoué de résorber une partie du déficit de la branche santé de la Sécurité Sociale.
Cela aurait pu être fait au nom de grands idéaux comme l'accès de tous aux traitements dans des conditions financièrement abordables ou encore la libération du principe actif pour le bénéfice de la communauté utilisatrice et l'innovation incrémentale, à l'instar du modèle du logiciel libre. Dans la pratique, cela a souvent conduit à des aberrations comme les "notes" attribuées aux médecins en fonction de leur propension à prescrire plutôt du générique que du médicament de marque ou le conditionnement du tiers payant à l'acceptation de la substitution.
Il n'en demeure pas moins que, si l'on tient compte de quelques nuances notables et pour peu que l'on se satisfasse de l'allopathie, les génériques constituent une alternative parfaitement valable aux médicaments de marque.

Pour détailler un peu, Il existe en fait trois familles distinctes de génériques dont les niveaux de similitude avec le médicament princeps varient.

  • - Les "auto-génériques" ont le même principe actif, les mêmes excipients et une présentation identique. Ce sont des copies conformes.
  • - Les "similaires" ont le même principe actif, mais des excipients différents.
  • - Les "assimilables" peuvent avoir non seulement des excipients différents, mais aussi une présentation différente et/ou une forme chimique modifiée. Sans être des copies à proprement parler, ils sont supposés apporter les mêmes effets.

De manière logique, cette diversité induit des différences parfois substantielles entre génériques et médicament princeps, et aussi entre classes de génériques destinés à suppléer un même produit.

Mais revenons-en au Furosémide du laboratoire Teva.

L'Israélien Teva est le leader mondial du générique. Son niveau de structuration et la rigueur de son organisation industrielle ne sont donc pas, a priori, à mettre en doute plus que ceux des principaux laboratoires pharmaceutiques dépositaires de marques. La succession d'interrogations puis d'éléments contredisant l'hypothèse d'une défaillance du fabricant est, à cet égard, édifiante.
Une perquisition de grande envergure dans les chaînes de conditionnement de l'établissement Teva de Sens n'a permis de relever aucune anomalie majeure. Des trois décès annoncés comme suspects, rien n'est finalement venu corroborer l'implication de somnifères administrés par erreur. Suite au rappel des lots de Furosémide potentiellement problématiques, 70000 comprimés sont inspectés par les enquêteurs de l'ANSM pour ne détecter, au final, aucun cas de confusion avec d'autres médicaments. Et, dans nombre des témoignages qui - c'est de saison - ont fleuri depuis le début de cette affaire, on devine le ressenti de patients touchés par l'effet "nocebo", conforté par la panique qui découle souvent des battages médiatiques.

Bien, bien, bien ...

Donc soit l'on en reste là, sur le constat qu'une nouvelle fois, on a fait beaucoup de bruit pour rien, soit l'on cherche à comprendre un peu ce qui s'est passé. Car la chronologie selon laquelle cette non-affaire a été divulguée incite tout de même à se poser quelques questions.
En avril, en effet, L'Express consacrait déjà un dossier entier aux génériques avec des articles aux titres aussi subtils que "Médicaments génériques : le cri d'alarme des médecins", "Médicaments génériques : copies non conformes", "Médicaments génériques : excipients attention prudence" ou encore "Médicaments génériques : des économies qui coûtent cher".
Le 7 juin, on apprenait donc qu'une brave dame habitant Saint-Malo avait signalé une anomalie à son pharmacien, lequel avait rapidement mis en branle le dispositif de pharmacovigilance prévu à cet effet. Les gazettes couvraient ce fait divers avec le discernement précédemment évoqué, une mention spéciale revenant a posteriori au Figaro qui s'emballait allègrement avant de s'ériger a posteriori, le 19 juin, en redresseur de torts face à la précipitation des réactions des pouvoirs publics.

Et, dans tout ce brouhaha, le 12 juin, une information apparemment anodine passait relativement inaperçue : le Viagra, la poule aux œufs d'or du laboratoire Pfizer, allait être disponible sous forme de générique dès le 22 juin.
Or, à la lecture de ce qui n'était que la suite logique de l'exploitation commerciale exclusive d'une molécule sous forme de marque depuis 1999 en Europe, nous n'avons pu nous empêcher de nous gratter dubitativement le sommet du crâne, assaillis par une sensation étrange d'avoir été dupés.

Concours de circonstance ou construction minutieuse ?

Toute cette affaire qui jetait l'opprobre sur le principal acteur du marché du générique intervenait donc au moment précis où l'une des spécialités les plus rentables de l'histoire du médicament allait échapper au contrôle du titulaire de son brevet d'exploitation. Sans pouvoir établir de certitudes, nous avons réuni un certain nombre d'informations concordantes qui sont de nature à le laisser penser. Vous vous forgerez votre propre opinion en lisant ce qui suit.

En 2004, l'IRDES consacrait un intéressant bulletin à la diversité des pratiques des laboratoires pharmaceutiques pour contrer la montée des génériques qui menaçait leurs profits. On y découvrait la finesse du jeu de ceux que l'on appelle aujourd'hui les Big Pharma pour amortir leurs brevets en déposant des recours tous azimuts ou en négociant avec les génériqueurs.
En 2009, le Bureau Européen des Unions de Consommateurs allait un peu plus loin en constatant que l'enquête sectorielle menée au cours de l'année 2008 par la Commission Européenne démontrait sans équivoque l'existence de pratiques malhonnêtes visant à retarder la mise sur le marché de médicaments plus abordables.
En 2010, alors que Teva annonçait son intention de commercialiser sous deux ans un générique du Viagra, l'État américain faisait pression sur Israël en conditionnant son soutien à l'intégration de l'État hébreu dans l'OCDE à la signature d'accords portant sur la prolongation de la protection des brevets pharmaceutiques. On ne renonce pas facilement à deux milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel.
Dans le même temps, les États-Unis tentaient de faire adopter au monde entier leur fameux accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) dans lequel figuraient pêle-mêle des dispositions visant la lutte contre le téléchargement illégal et des clauses menaçant l'accès de populations entières aux médicaments génériques considérés avec un zèle étonnant comme des contrefaçons des référents dont ils découlaient. Cet accord devait finalement être rejeté par le Parlement Européen en juillet 2012.

À la lumière de ces informations, il devient plus difficile d'envisager que la succession récente de communiqués écornant sérieusement l'image de Teva et entachant la réputation de l'ensemble du secteur des génériques soit purement fortuite.
Les professionnels du lobbying que sont devenus les principaux groupes pharmaceutiques le savent parfaitement et les études menées après l'offensive américaine en Irak suite à la découverte présumée d'armes de destruction massive leur donnent raison : une fois que le doute s'est instillé, les démentis, les démonstrations de transparence et les preuves d'innocence ne parviennent jamais à convaincre l'opinion que l'accusé est définitivement disculpé.
Teva a beau avoir fourni toutes les preuves que ses procédures industrielles sont en l'occurrence irréprochables, les enquêtes ont bien pu établir que les médicaments du laboratoire ne peuvent pas être considérés comme l'origine des décès de Marseille, Privas et Compiègne, une fois devant le comptoir de leur officine, une partie non négligeable des patients refuseront la substitution de leur bon vieux princeps.

Pourtant, en la matière, il en va de même des médicaments de marque, des génériques ou encore, pour ce qui nous concerne plus directement, des compléments alimentaires : des produits de qualités inégales sont disponibles sur le marché. L'intégrité avérée du fabricant et du distributeur reste la meilleure garantie du respect de l'intérêt du malade.

Références :

  1. 1- Morceaux choisis du dossier de L'Express sur les génériques :
  2. 2- Point de situation de l'ANSM au 19 juin 2013
  3. 3- Bulletin de l'IRDES : Les laboratoires pharmaceutiques face à l'arrivée des génériques : quelles stratégies pour quels effets ? (fichier PDF)
  4. 4- Communiqué du BEUC à propos des conclusions de l'enquête européenne sur le secteur pharmaceutique (fichier PDF)
  5. 5- Communiqué de l'ONG Oxfam relevant les dangers de l'accord ACTA pour l'accès aux médicaments génériques
  6. 6- Article du Figaro (avril 2010) - évoquant les manœuvres de Pfizer pour retarder la sortie de versions génériques du Viagra
  7. 7- Article des Echos annonçant le lancement prochain de la version générique du Viagra sur le marché français
  8. 8- Rapport PIPA faisant état de la persistance et du rôle des média dans les perceptions erronées après la Guerre d'Irak (fichier PDF)

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Crédits photographiques : Ting W. Chang

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