Lettre d'Information Synphonat
Numéro 9 - Juin 2011

Bonjour,

Les modèles de pensée actuellement dominants sont remis en question de par le monde. Après l'Espagne, le mouvement des Indignés gagne la Grèce et la France.

En cause, une classe politique déconnectée des citoyens qu'elle entend représenter et une économie qui, dans sa forme actuelle, n'apporte plus l'émancipation espérée.

Alors qu'une conception passéiste et déséquilibrée de la société civile dicte encore souvent les décisions de nos dirigeants, des acteurs de tous rangs, individus, associations, entreprises, recherchent d'autres voies plus porteuses de sens.

Et, au final, c'est parfois en revenant, avec une compréhension nouvelle, à des modèles plus naturels que se dessinent des évolutions susceptibles de tirer l'individu et le collectif vers le haut.


L'équipe Synphonat




1. Du commerce toxique à l'exportation de bonnes pratiques

par Sylviane, Préparatrice de commandes

Dans la Lettre d'Information Synphonat du mois de février, nous évoquions le phénomène d'obsolescence programmée et effleurions à peine son corollaire : la nécessité de traiter les déchets issus d'une consommation effrénée.

La problématique ne se limite pas à la fin de vie des déchets issus de l'électronique. Dans bien d'autres domaines, en effet, la question de la fin de vie des produits se pose de manière critique avec la solution de facilité souvent retenue d'exporter ses déchets pour un hypothétique recyclage dans des pays à faible coût de main d'œuvre, loin des yeux des consommateurs et des normes contraignantes relatives aux matériaux polluants.

Une des illustrations les plus choquantes de notre histoire récente en fut, en France, le fiasco du porte-avions Clémenceau, convoyé de façon irrégulière pour être démantelé en Turquie avant d'être intercepté au large des côtes italiennes puis réexpédié 3 ans et beaucoup d'argent plus tard vers l'Inde en vue d'un recyclage à 92%.

Mais la France - et c'est également le cas de la plupart des pays européens - est en l'occurrence plutôt un bon élève quand on la compare à des pays comme les Etats-Unis, Israël, la Russie ou Malte qui restent en retrait de tous les traités internationaux interdisant ce "commerce toxique". Fin 2010, une proposition de loi allant en ce sens a été examinée aux Etats-Unis mais elle n'a pas été adoptée jusqu'ici. La pression des lobbys industriels pour qui cet export peu scrupuleux constitue une solution peu onéreuse évitant de trop aborder la possibilité d'une généralisation des mécanismes de Responsabilité Elargie du Producteur semble y être pour beaucoup.
La faible mobilisation des consommateurs pour faire progresser, à la source du problème, la "conception verte" n'y est pas non plus étrangère.

Des initiatives voient cependant le jour, dans le prolongement du travail des ONG, pour traduire en actions concrètes une autre vision de l'économie, plus citoyenne et moins mercantile, et de son impact sur les échanges Nord-Sud.
Le programme Clic Vert instauré par les Ateliers du Bocage s'inscrit dans cette logique :
Parti d'une action pilote au Burkina Faso, il s'étend depuis début 2011 au Bénin. Des actions se développent en outre au Burundi et au Cameroun, et devraient être prochainement répliquées au Niger, au Mali et au Togo. Cette association des Deux-Sèvres appartenant à la branche Economie Solidaire et Insertion d'Emmaüs a mis ses connaissances des métiers du recyclage au service de ce programme visant à expérimenter un modèle économique vertueux autour du recyclage des téléphones portables et des possibilités de création d'emplois induites. Dans la pratique, le programme Clic Vert organise l'information des ménages et des entreprises, la collecte, la réparation, le reconditionnement des mobiles encore en état de fonctionnement et la dépollution des déchets de téléphonie mobile pour un transfert vers la France où certains composants pourront être valorisés. Le bénéfice de cette action est multiple : création d'emplois directs, création de revenus au niveau des filières de revente, promotion d'une filière de recyclage sûre et respectueuse de l'environnement.

La logique dominante tend fréquemment à spécialiser les nations les moins développées dans une fonction d'atelier à bas coût et de dépotoir des déchets des économies développées, provoquant parfois de véritables désastres environnementaux et humains. A l'opposé, ce projet s'efforce de valider la pertinence économique de bonnes pratiques industrielles pour ensuite les dupliquer dans des contextes pourtant beaucoup moins favorables à la prise de conscience des populations locales que ceux dont nous avons l'habitude sous nos latitudes.

Dans les pays "occidentaux", la sensibilisation opérée par les ONG, la forte implantation du tissu associatif et le dynamisme de l'économie sociale sont autant de facteurs qui rendent possible la conception de projets d'entreprise alternatifs. Accepter la prééminence d'une vision de la société construite autour des seuls intérêts d'acteurs économiques peu soucieux des dommages collatéraux occasionnés par leur activité de production n'est donc pas une fatalité. Bien au contraire, même si les modèles les plus durables restent à identifier, il nous est parfaitement possible de favoriser l'émergence d'une économie plus compatible avec l'humain et son environnement.

Références :


2. Hadopi : la vision d'un système périmé

par Arnaud, Responsable Informatique

Au début de l'ère du multimédia (1985), fut créée la taxe sur la copie privée : Tous les supports (cassette audio, VHS, CD, DVD et plus récemment disque dur et clé USB) pouvant servir à enregistrer un contenu sont soumis à cette taxe dont un quart est reversé aux ayants droit et un autre quart à la maison de production, ...

Aujourd'hui, le changement d'habitudes culturelles est amorcé car c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous migrons peu à peu vers une dématérialisation du support, les lecteurs multimédia, les réseaux sociaux et Le Cloud Computing (ou "informatique en nuage". Ce concept consiste à déporter sur des serveurs distants des traitements informatiques traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur le poste client de l'utilisateur) en sont la preuve.

Les majors sentant le vent tourner demandèrent à l'Etat de mettre en place un dispositif pour préserver leurs intérêts sur ce marché si lucratif. C'est ainsi que virent le jour la fameuse Loi Création et Internet et la Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) chargée de la surveillance des droits d'auteur sur l'Internet et, plus concrètement, de l'application de la loi éponyme.

Pour pérenniser ce modèle de consommation visiblement obsolète, ladite Haute Autorité tend malheureusement, à en croire les récentes campagnes de communication qu'elle a commanditées, à nous faire tous passer pour de dangereux criminels en liberté désireux de nuire à l'épanouissement des futurs artistes.
Tout d'abord les maisons de disque nous ont été présentées comme étant en mauvaise posture en raison de la chute des ventes de CD. Ce dernier point est vrai, mais cet état des lieux catastrophiste omet toutefois une précision importante : dans le même temps, le nombre de morceaux musicaux vendus sur Internet a explosé et, au final, le chiffre d'affaires de ces mêmes maisons de production est en constante augmentation.

Quand des intérêts privés influencent de manière assez directe la compréhension que nos dirigeants ont de cette problématique, on relève d'autres subterfuges qui faussent complètement l'analyse communément diffusée auprès du grand public :

  • - Le vocabulaire est ainsi détourné de son sens. Certains termes comme "pirater" ou "voler" ont ainsi été galvaudés. Un simple rappel de la définition de ces 2 mots :
    Pirater : Désigne l'action de s'introduire dans un système afin d'en extraire ou d'en modifier les informations, sans autorisation.
    Voler : Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui, le propriétaire en est donc privé.
    Dans le cas du téléchargement de fichiers sur Internet, il n'y a donc ni piratage ni vol ; mais bel et bien partage de l'usage d'un bien. Chacun d'entre nous est capable de produire quelque chose et peut ensuite librement le partager sur Internet, Youtube et DailyMotion en sont le parfait exemple. La qualité n'étant pas toujours au rendez-vous, c'est indéniable, mais il en est de même pour toute œuvre.

  • - Le dispositif Hadopi introduit en quelque sorte une présomption de culpabilité puisqu'il revient à l'abonné Internet de faire la preuve de son innocence. En effet, il crée une infraction de "négligence caractérisée". Dans le cas où sa connexion Internet est supposée, à tort ou à raison, les procédés techniques de surveillance étant non seulement litigieux mais également très imparfaits, avoir été utilisée pour procéder à des téléchargements illégaux, l'abonné moyen reçoit un premier courrier lui intimant d'installer un logiciel de sécurisation, à ses frais, pour prouver de manière préventive sa bonne foi dans l'avenir.
    Preuve de la pertinence de ce mécanisme, les serveurs Hadopi eux-mêmes ont déjà été piratés à plusieurs reprises. Il semblerait donc que l'autorité référente en la matière soit incapable de sécuriser ses propres accès, ce qui, pour respecter la logique du raisonnement, la mettrait en infraction avec la loi dont elle est chargée de surveiller l'application.

  • - Cette autorité publique théoriquement indépendante a consacré la bagatelle de 3 millions d'euros pour commander à l'Agence H - éminemment indépendante des intérêts d'Havas (actionnaire principal et président : Bolloré), comme il se doit - une campagne publicitaire pour sa nouvelle trouvaille : le label PUR destiné à distinguer les sites conformes à Hadopi ...

Mais Hadopi veut aller plus loin aujourd'hui, en instaurant le filtrage au cœur des boîtiers ADSL (les fameuses FreeBox, LiveBox, NeufBox, ...), ce qui conduirait à des possibilités de surveillance sans équivalent.
Voici un résumé du nouveau projet en matière de "sécurisation" :
La lecture approfondie du document rend flagrante la volonté de rendre le filtrage aussi intrusif que possible, en exploitant au maximum le fait que les utilisateurs accepteront eux-mêmes de se faire surveiller pour garantir leur sécurité juridique.
Il est ainsi prévu que les mesures techniques de sécurisation puissent être mises en œuvre "via des fournisseurs de services (FAI, Opérateurs de télécoms, Opérateurs de sécurité, etc.)", et pas simplement par des logiciels installés localement.
C'est à dire que votre fournisseur d'accès pourra par simple mise à jour de votre box, installer ce qu'il souhaite, sans que vous en soyez obligatoirement informé, la box restant sa propriété.
La surveillance s'effectuerait sur tout un panel de protocoles (p2p, streaming, téléchargement direct, messagerie instantanée, ... ). Les enregistrements de vos usages Internet porteraient en outre sur les adresses des pages web visitées et les noms de fichiers téléchargés, ce qui va bien au delà de ce que permet la loi.
On pourra ainsi faire accepter l'inacceptable par peur d'éventuelles poursuites judiciaires, au mépris évident des plus élémentaires préoccupations concernant le respect de la vie privée.

Heureusement refuser de subir la surveillance d'un logiciel espion n'est en aucun cas un aveu de culpabilité.
Pour formuler l'argument autrement, refuser l'installation d'une caméra de surveillance à votre domicile ne constitue aucunement la preuve du fait que vous avez des choses à cacher.
Voici 2 solutions - parmi d'autres - tout à fait légales pour déjouer cette surveillance indélicate :

  • - Abandonner la box de votre fournisseur d'accès Internet (et donc l'offre Triple Play qui y est associée) pour un simple routeur ADSL. De cette manière, plus d'installation de logiciel de surveillance possible.

  • - Souscrire à une offre VPN, qui crypte tous vos échanges sur la toile.

J'espère que cet article permettra à chacun de ne plus se voir comme un vil voleur et vous aidera ainsi à retrouver le sommeil.

Références :


3. Le vivant investit la recherche

par Frédéric, Responsable Marketing Multicanal

La crise récemment survenue en Allemagne autour de l'infection à la bactérie escherichia coli a fait l'objet d'une couverture médiatique assez inhabituelle pour une affaire sanitaire. Jour après jour, à la manière d'une série policière, on a découvert des indices, écarté des suspects, mis en œuvre des techniques de recoupement pour en identifier la source.

A l'origine des nombreux cas recensés, une bactérie mutante apparemment insensible aux traitements conventionnels à base d'antibiotiques.

Or, dans ce cas particulier, mais également dans bien d'autres domaines, il est de plus en plus vraisemblable que c'est d'une meilleure compréhension des mécanismes en action dans la nature que pourrait émerger une innovation majeure.

Une équipe de chercheurs de l'Université de Jyväskylä, en Finlande, planche en effet sur l'utilisation de virus bactériophages (plus communément appelés "phages") ciblant les bactéries rebelles à tout traitement antibiotique. Ces phages sont en fait attirés par les plasmides, ces morceaux d'ADN que se transmettent les bactéries pour s'adapter aux menaces extérieures et dont certains ont notamment la particularité d'être porteurs des gènes de résistance aux antibiotiques.
Les résultats préliminaires de ces travaux menés in-vitro - avec les limites que cela comporte - ont établi qu'en forçant les bactéries telles qu'eschericia coli à s'adapter à l'attaque virale des phages en se débarrassant de leurs plasmides, ces dernières se trouvaient du même coup privées de leur immunité aux antibiotiques.

Toujours dans le domaine de la santé, la collaboration d'équipes de recherche de l'Université et de l'Ecole de Médecine d'Harvard a abouti à la reconstitution de fonctions organiques du poumon sur une biopuce de 2 cm de long.
En reproduisant ainsi les caractéristiques des tissus pulmonaires, les premières expérimentations de ces chercheurs ont permis de vérifier que ce microdispositif restituait fidèlement certains des mécanimes clés de l'organe et notamment sa réponse intracellulaire à une infection d'origine bactérienne (ici encore c'est la fameuse escherichia coli qui a fait l'objet de tests, en raison de sa traçabilité en fluorescence).
Plus qu'une fin en soi, cette puce constitue en fait une "preuve de concept" permettant d'envisager, à terme, des outils fiables de validation de nouveaux traitements médicamenteux. Elle pourrait bien reléguer au rang d'anachronisme les très polémiques tests sur animaux qui sont encore aujourd'hui monnaie courante dans l'industrie pharmaceutique.

Dans un tout autre registre, enfin, des équipes du California Institute of Technology (Caltech) élargissent les perspectives ouvertes par la bio-informatique. A partir de molécules d'ADN synthétique, elles ont élaboré le plus important circuit biochimique artificiel existant à ce jour. Si les capacités de calcul de cet appareil biomoléculaire sont, pour l'heure, extrêmement limitées, le simple fait de doter l'ADN de fonctions logiques permet d'envisager de contrôler certains processus biochimiques et, plus concrètement, d'accéder à des techniques de diagnostic jusqu'ici inexplorées, à la croisée des sciences du vivant et de l'informatique.

Alors, illusion de maîtrise sur une nature par essence trop complexe pour notre entendement ou bien pistes plausibles pour une meilleure compréhension de ce que nous sommes et pour la mise au point de solutions inattendues aux grandes problématiques de santé, l'avenir nous le dira. En tout état de cause, ces découvertes doivent bien nous faire prendre conscience de tout ce que le vivant nous offre comme champs d'investigation et, plus encore, de l'étendue de ce qui reste à découvrir.

Références :

Crédits photographiques : Fabrice Lejoyeux, NeilsPhotograph, Dan4th Nicholas, Carissa Rogers

Lettres Synphonat