Valeurs Nature

36 - janvier 2014

La Lettre d'Information de Synphonat

Dossier de janvier
Le végétal, dénaturé et incompris

Dossier de janvier - Le végétal, dénaturé et incompris

Au cours de l'année passée, nous avons, à de nombreuses reprises, évoqué l'importance des micro-organismes présents dans notre environnement et dans notre propre corps. Les recherches récentes ne cessent de nous rappeler que notre santé humaine est le fruit d'un équilibre.

Nous avons su éradiquer des fléaux majeurs et contenir des épidémies qui auraient jadis été dramatiques, mais les bouleversements survenus dans nos modes de vie depuis le début du Vingtième Siècle ont favorisé l'expansion de maux nouveaux : obésité, cardiopathies, allergies, dépressions et, plus largement, mal-être qui semble découler au moins en partie de notre divorce avec la nature.

Des dirigeants qui peinent à revenir aux fondamentaux

La préoccupation environnementale n'est somme toute apparue que très récemment dans les manuels scolaires et la génération des dirigeants politiques et de capitaines d'industrie actuellement aux commandes des grands États de ce Monde peine à revenir aux fondamentaux. Au lieu d'apprendre de la biodiversité et de nous en inspirer, nous avons soumis la nature à nos fantasmes de croissance et aux mythes de toute puissance auxquels nous avons collectivement adhéré.

Court-termisme et absurdité de l'approche dominante

Deux articles récents parus, à un mois d'intervalle, dans la revue Wired Science illustrent particulièrement bien, d'une part, le court-termisme de l'approche dominante et, d'autre part, son absurdité dans un univers dont nous commençons tout juste à comprendre le fonctionnement ...

Beau sujet de début d'année : réapprenons à écouter.

Le point de départ de cette réflexion, c'est un article ressemblant à un communiqué de presse du groupe Monsanto qui nous l'a suggéré. Visiblement soucieux de son image auprès du grand public, le géant du pesticide et des semences serait en train de réviser le modèle de conception des espèces végétales qu'il commercialise. Loin de renoncer aux OGM, destinés en priorité à l'alimentation animale, l'industriel qui se targue de vendre plus de 2000 variétés de graines à travers la planète verdit désormais son discours en communiquant tous azimuts sur ses techniques innovantes de culture sélective. Les nouvelles exclusivités qu'il espère voir s'imposer dans les rayons fruits et légumes sont le résultat de ce processus. Les mercatiquement baptisés brocolis "Beneforté", laitues "Frescada", poivrons "BellaFina" et autres oignons "EverMild" ont en effet été conçus selon cette approche qui s'apparente singulièrement à celle des grands noms de l'industrie agroalimentaire que nous évoquions en novembre dernier.

Il s'agit, dans un premier temps, de déterminer les caractéristiques clés qui feront le succès du produit : dimension, croquant, douceur (c'est-à-dire goût sucré) et, plus rarement, teneur en nutriments pour le cas du brocoli, ... autant de garanties pour le producteur adoptant la semence de cultiver un best-seller, et autant d'invitations par conséquent à continuer à s'approvisionner, saison après saison, auprès d'un fournisseur qui, par ailleurs, lui interdit d'exploiter les graines issues de ses précédentes récoltes.

La seconde étape pour les variétés génétiquement modifiées consistait à identifier les gènes à l'origine de ces caractéristiques, puis à les extraire à l'aide d'enzymes pour les réintroduire dans le génome d'autres plantes en s'appuyant, par exemple, sur des virus ou des bactéries pour transporter l'information.
Dans la nouvelle approche, il est plutôt question de croiser les variétés, comme le fait l'agriculture traditionnelle depuis des millénaires, mais en opérant une sélection génétique parmi les rejetons à la recherche des marqueurs spécifiques des qualités attendues du produit à commercialiser plutôt que de s'en remettre à la bonne volonté de Mère Nature pour nous fournir un croisement correspondant à nos attentes ... ou plutôt à celles du marché.

Monsanto fait dans le bio ...

Éloignée donc, pour Monsanto, la crainte de voir la mention "OGM" apposée en grande lettres sur ses produits distribués par des chaînes telles que WholeFoods. Qui plus est, pour peu que les agriculteurs qui les emploient se passent de pesticides et qu'ils limitent les distances de transport jusqu'aux zones de consommation, ils pourront même se prévaloir des appellations "organic", le bio selon le cahier des charges américain, et "locavore", chères aux alterconsommateurs.

... mais pas dans la dentelle

Bref, au lieu de repenser son modèle pour aller vers une démarche plus durable et plus respectueuse des processus naturels, la firme a préservé le système de semences brevetées qui a fait son succès - et ruiné des centaines de milliers de petits paysans de par le Monde. Sa stratégie a consisté à adapter des organismes végétaux aux goûts des consommateurs, essentiellement nord-américains, au mépris des raisons qui ont pu mener les espèces qui servent de base à notre alimentation à exister sous la forme qu'elles ont aujourd'hui naturellement atteinte.

C'est précisément à ce stade de la réflexion que nous est revenue à l'esprit une parution du mois précédent.
Cet article passionnant issu d'une publication originale dans Quanta Magazine donne la parole à Richard Karban, Professeur d'Écologie à l'Université de Californie, Davis, à Ted Farmer, du Département de biologie moléculaire végétale de l'Université de Lausanne et à Ian Baldwin, membre de l'Institut Max Planck d'Écologie des Chimiques, en Allemagne. Tous trois ont consacré leurs travaux respectifs à l'intelligence des plantes.
Au fil du sujet, on saisit mieux la portée de leurs recherches et on découvre notamment qu'un rapport publié en 2011 dans Ecology Letters a établi clairement que les variétés commerciales de maïs issues d'une approche phytogénétique ont perdu certaines des aptitudes fascinantes dont l'évolution avait doté cette plante.

Des plantes actives

Contrairement au semencier qui n'a envisagé notre environnement végétal qu'en fonction de la manne qu'il pourrait tirer de son exploitation, ces chercheurs se sont appliqués à le comprendre. Et ils ont, au travers de diverses expérimentations, démontré sans équivoque qu'au-delà de la capacité de résistance passive qu'on leur prêtait déjà, les plantes étaient douées d'une forme d'intelligence et avaient élaboré des mécanismes de défense active.

Par l'émission de signaux électriques similaires à ceux parcourant le système nerveux des organismes animaux, certaines espèces réagissent face à une agression par des insectes phytophages en libérant des composés organiques volatiles ou en altérant leur propre composition.

Pour exemple, infesté par des vers ou des chenilles, le saule de Sitka ajuste la chimie de ses feuilles afin d'en dégrader l'intérêt nutritionnel pour l'assaillant.
Plus impressionnant, le message d'une telle agression peut être transmis aux spécimens avoisinants. Ainsi, les peupliers et les érables à sucre commencent à répandre les phénols répulsifs avant même d'être attaqués par des nuisibles à la simple mise en présence d'autres individus dont les feuilles ont été détériorées par les insectes.
Il a également été observé que le maïs non modifié, attaqué par des ravageurs tels que la chenille légionnaire de la betterave, émet des signaux de détresse attirant des guêpes prédatrices de cette dernière.

Une nouvelle vision de la nature

Selon ces scientifiques, la quasi-totalité des essences qu'ils ont étudiées "communique" de la sorte. Farmer, quant à lui, a vérifié que, des microbes, fourmis et mites, jusqu'aux colibris et aux tortues, les espèces animales capables de percevoir des signaux et d'y réagir sont innombrables.

La synthèse de leurs analyses nous oblige à reconsidérer notre vision d'un monde où la nature n'est comprise que comme un vivier à la disposition de l'homme et dont les évolutions sont soumises à ses goûts. Notre espèce s'est développée de manière concomitante à une multitude d'autres formes de vie. Notre santé physique et notre équilibre y sont étroitement liées et, plutôt que de penser les asservir à nos caprices, un peu d'humilité nous permettrait sans doute de mieux appréhender notre place dans cet écosystème où la symbiose est possible.

Pour l'année qui commence, nous vous souhaitons donc de parvenir à réécouter la nature, en vous et autour de vous.
Autant que nous saurons le faire, nous espérons vous accompagner sur cette voie.

Références :

  1. 1- article de Wired Science consacré aux nouvelles variétés Monsanto
  2. 2- petit rappel sur le bilan humain de l'implantation de Monsanto en Inde
  3. 3- le langage secret des plantes - article de Wired Science

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Crédits photographiques : Alex Popovkin

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