Valeurs Nature

29 - avril 2013

La Lettre d'Information de Synphonat

Dossier d'avril
Allergies au gluten : halte au flou

Dossier d'avril - Allergies au gluten : halte au flou

Nous avons évoqué, dans notre précédente lettre, la sortie du livre de Philippe Even sur le cholestérol. Il y dénonce ce qu'il qualifie de "scandale des statines". Depuis lors, les avis d'experts se succèdent, souvent contradictoires et, au final, faire la part des choses pour se forger sa propre opinion est devenu encore plus complexe tant la confusion entre différents concepts s'est accrue.
Nous tenterons donc, brièvement, de démêler un peu l'écheveau. Pour y parvenir, nous ne détaillerons probablement pas suffisamment la présentation de certaines informations. Aussi nous vous encourageons vivement à parcourir les liens figurant en fin de ce dossier.

Comment s'emméler allègrement les pinceaux avec des concepts qui semblent évidents ? Les "allergies au gluten", généralement ni plus ni moins qu'un abus de langage, sont un cas d'école. D'une part parce que l'on prête hâtivement au gluten un rôle dans le déclenchement d'hypersensibilités alimentaires d'origines plus variées qu'il n'y paraît. D'autre part parce que ces hypersensibilités connaissent diverses gradations fréquemment amalgamées mais appelant des réponses très différentes.
Au risque de proposer une explication un peu rébarbative, il faut donc bien réviser quelques définitions avant d'aborder la question de l'allergie alimentaire elle-même.

Qu'est-ce que l'allergie ?

L'allergie est une réaction anormale et excessive du système immunitaire générée par un contact avec une substance, qualifiée, en l'espèce, d'"allergène", généralement étrangère à l'organisme. Bien toléré par le reste de la population, à l'opposé des toxiques, l'allergène déclenche chez les seules personnes allergiques une réaction inadaptée et pathologique.

L'allergie n'est que l'une des formes de l'hypersensibilité. Dans le cas du blé qui nous intéresse présentement, on la distinguera de la simple intolérance ou encore de la maladie cœliaque.
Le pluralisme des mécanismes en cause dans les hypersensibilités alimentaires explique qu'un grand nombre de personnes (plus de 20% de la population) rapportent des symptômes en rapport avec des aliments et qu'au final, seule une minorité, estimée en France à 4% de la population et à 6% des enfants, présente une allergie alimentaire à proprement parler.

En France, le nombre de personnes atteintes d'allergies alimentaires a doublé entre 2005 et 2010 pour concerner, alors, plus de 2 millions de personnes, dont 5% sont des enfants de moins de 15 ans. Pour le professeur Benoît Wallaert, chef du service de pneumologie et immuno-allergologie au CHU de Lille et Président de la Société Française d'Allergologie, cette progression s'expliquerait au moins en partie par la hausse de l'usage d'antibiotiques, le changement d'habitudes alimentaires et la pollution.

Comment apparaît l'allergie alimentaire ?

L'allergie alimentaire peut s'installer chez le jeune enfant, l'ingestion de certains aliments provoquant une sensibilisation à cet aliment puis une allergie, responsable de symptômes digestifs, cutanés ou respiratoires.
Elle peut également survenir plus tard, dans le cadre d'une allergie respiratoire à un produit naturel allergisant, par un mécanisme d'allergie croisée. Dans ce deuxième cas, le système immunitaire réagit à des protéines alimentaires présentant de fortes similarités avec celles du produit naturel initialement allergisant en déclenchant, par exemple, des symptômes oraux ou digestifs, cutanés ou cutanéo-muqueux ou, plus rarement, généralisés (anaphylaxie).

Qu'est-ce que le gluten ?

Le gluten est la fraction protéique insoluble du grain, obtenue par lavage d'une pâte de farine panifiable. Cette substance est tirée du blé ou du seigle et dans une moindre mesure de l'orge. Il contient deux protéines, la gliadine et la gluténine, ainsi que de l'amidon, des sucres réducteurs, des lipides, des pentosanes et des matières minérales. Exploité en boulangerie, il confère à la farine des propriétés visco-élastiques qui facilitent le pétrissage et permettent à la pâte de lever lors de la fermentation. Dans le cas des allergies au blé, la cible du système immunitaire est une protéine du blé, mais là encore il faut nuancer car ça n'est pas nécessairement une de celles du gluten.

Pour diagnostiquer l'allergie, les allergologues procèdent au bilan allergologique au terme de plusieurs séances d'entretien destinées à établir les antécédents, la réaction, les aliments suspectés, le contexte de survenue et d'éventuels facteurs favorisants ou aggravants.
Le bilan comporte des tests cutanés dont certains peuvent être effectués au mieux avec des aliments à l'état natif et, souvent, des examens biologiques pour la révélation d'IgE spécifiques sur prélèvement sanguin.
Des tests de provocation ou de réintroduction peuvent être envisagés dans certaines situations. Bien que des tests de provocation labiale puissent être réalisés en cabinet, la plupart des tests de provocation se font, pour des raisons de sécurité, en milieu hospitalier.

Comment traiter les allergies à l'une ou l'autre des protéines du blé ?

Les traitements médicamenteux s'attaquent essentiellement aux symptômes. Ils permettent uniquement de limiter ou de résorber les manifestations incommodantes de l'allergie.
Pour réellement résoudre le problème, la principale solution concernant les allergies alimentaires repose sur l'éviction.
Mais, en la matière, deux théories sont en concurrence. Certains prônent l'éviction totale, arguant que dans le cas d'une allergie véritable le seuil de déclenchement varie tellement d'un individu à l'autre que le principe de précaution impose de supprimer totalement l'allergène incriminé du régime alimentaire du patient. Depuis la publication d'études sur le sujet à l'occasion du cinquième Congrès des Allergologues Francophones, en 2010, d'autres soutiennent au contraire qu'éviter l'aliment allergène ne serait pas la meilleure solution, l'éviction totale risquant selon eux de mettre le patient concerné en danger.

La désensibilisation demeure au final le seul traitement curatif de l'allergie car elle s'attaque à la cause même du problème. Mais ce type de protocoles reste à l'heure actuelle réservé aux allergies déclenchées par les pneumallergènes (rhinites, asthme) et les venins d'hyménoptères.
À terme, Cette piste ne doit pas pour autant être écartée car, pour les aliments aussi, des essais sont en cours avec des allergènes modifiés. Avant que des vaccins allergéniques en découlent, des recherches restent encore à mener pour réussir, allergène par allergène, l'identification moléculaire permettant ensuite la production d'allergènes recombinants par génie génétique.

Nous avions évoqué, en avril 2012, les avancées scientifiques permettant une meilleure compréhension des mécanismes de l'allergie et des raisons de l'augmentation de la prévalence des maladies allergiques. Il était alors essentiellement question des phénomènes d'allergies saisonnières. Aujourd'hui en abordant à nouveau ce sujet sous l'angle des allergies alimentaires, nous avons souhaité faire table rase des imprécisions relatives au cas particulier du gluten. En matière d'hypersensibilité, en effet, il semble crucial de savoir discerner les concepts pour faciliter la recherche de solutions.

Références :

  1. 1- Présentation du gluten sur le site Wikipédia
  2. 2- Remise en question de l'éviction totale
  3. 3- La désensibilisation expliquée par le menu sur Allergique.org

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Crédits photographiques : Paris by Mouth

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