Valeurs Nature

34 - novembre 2013

La Lettre d'Information de Synphonat

Dossier de novembre
Sel, sucres et graisses dans l'alimentation :
creusons un peu

Dossier de novembre - Sel, sucres et graisses dans l'alimentation : creusons un peu

Notre dossier du mois dernier était consacré aux subtiles trouvailles du marketing pharmaceutique. L'industrie agro-alimentaire n'ayant pas pour objectif premier d'améliorer la santé de ses clients, ses pratiques de promotion des produits sont moins encadrées et les géants du secteur ne s'embarrassent donc pas d'autant de précautions pour encourager les consommateurs à acheter.

C'est particulièrement vrai en ce qui concerne ce qu'il est convenu d'appeler la "malbouffe". Cependant, du processus d'élaboration des plus grands succès de cette catégorie d'alimentation jusqu'à la conception des packagings et des campagnes de communication, des trésors d'ingéniosité sont employés à implanter dans les habitudes de consommation le produit le plus addictif possible tout en levant au maximum tous les freins qu'une information santé trop pédagogique risquerait d'actionner chez les plus attentifs.

Des produits dont il est virtuellement impossible de décrocher

La grande distribution fait ses choux gras de produits alimentaires transformés pré-conditionnés et marketés à l'extrême qui présentent l'intérêt d'être parfaitement adaptés à la fois à ses contraintes de stockage et de rentabilité. L'emplacement des produits dans les rayonnages fait l'objet d'ajustements incessants afin de développer le chiffre d'affaires des enseignes et certaines marques sont devenues tellement incontournables que leur absence des linéaires fait courir aux hypermarchés le risque de voir leur clientèle passer à la concurrence.

On pourrait penser que les programmes de prévention et les campagnes d'information concernant l'augmentation de la prévalence de l'obésité, des diabètes de type II et des maladies cardio-vasculaires suffiraient à sensibiliser la population à la nécessité de limiter le recours à ce type d'alimentation dans laquelle les dosages en sel, graisses et sucres sont clairement identifiés comme facteurs de risque. Ce serait sans compter sur le travail des équipes de marketeurs et d'ingénieurs qui, chez les plus grands fabricants de plats transformés, de sauces, de boissons, de biscuits et de chips, œuvrent à mettre sur le marché des produits dont il est virtuellement impossible de décrocher.

Soyons clairs : nous ne parlons pas d'ajouter des substances psychoactives dans les paquets de céréales des enfants mais d'un effort mené bien en amont, au niveau de la recherche de nouveau produit, et en aval, pour rendre le produit le plus désirable possible.

Comment les géants de l'alimentation nous ont rendus accros

Michael Moss, journaliste d'investigation au New-York Times, a publié en début d'année un ouvrage édifiant sur le sujet : "Salt Sugar Fat: How the Food Giants Hooked Us" (Sel Sucre Graisses : Comment les Géants de l'Alimentation nous ont rendus accros). Il y recueille les témoignages de personnalités ayant contribué à l'"optimisation" des productions des leaders mondiaux de industrie agro-alimentaire.

On y découvre l'apport fondamental de Howard Moskowitz : ce diplômé d'Harvard en psychologie expérimentale a mis au point un modèle mathématique permettant de combiner toutes les variations possibles de goût, de texture, de couleur, ... d'un produit et les données issues de tests consommateurs quant aux perceptions sensorielles attribuées à ces différentes combinatoires. Il en a déduit un optimum, le "bliss point", dans lequel les propriétés organoleptiques plaisent le plus à la clientèle cible et où aucune saveur n'est suffisamment saillante pour déclencher le mécanisme de satiété sélective qui inciterait le client à se détourner du produit après quelques utilisations. Parmi ses nombreuses références, Cadbury Schweppes a fait appel à ses services pour concocter la recette du successeur idéal pour sa marque Dr Pepper en perte de vitesse face aux champions du secteur.

Le livre de Moss est également l'occasion de faire la connaissance de Bob Drane, concepteur inspiré des Lunchables, un assemblage de viande recomposée, de crackers et de fromage. S'appuyant sur les remontées de groupes de consommatrices, mères actives dépassées par le coup de feu du matin lors duquel elles devaient préparer la collation de leur progéniture dans l'urgence, ce mix - dont, étant destiné aux enfants et aux adolescents, la pertinence sanitaire ne vous aura pas échappé - a permis de relancer les ventes d'une des marques du groupe Kraft Foods en proie à la sinistrose.

On y apprend encore comment Frito-Lay, détenteur notamment de la marque Lays connue en France pour ses nombreuses variétés de chips aromatisées, a mobilisé sa recherche développement pour faire de ses Cheetos un produit auquel notre cerveau ne sait pas dire non. Outre le choix délibéré d'un recours massif au sel pour son effet addictif sur le consommateur, une bonne douzaine d'autres caractéristiques ont été étudiées. De la résistance (vous serez certainement heureux de savoir que la sensation de croquant est jugée idéale lorsque la chips cède à quatre livres de pression par pouce carré) à la tenue en bouche, rien n'a été oublié et la consistance du produit a été conçue pour que sa désagrégation au contact de la salive soit si rapide que le sentiment de culpabilité lié à l'absorption d'un aliment si éminemment calorique soit imperceptible.

Ces pratiques ne sont pas l'apanage des industriels nord-américains

Le fait que l'enquête de Michael Moss porte sur de grands groupes internationaux pourrait laisser penser que ces pratiques sont l'apanage des industriels nord-américains. Mais, comme le révélait en juin 2012 le documentaire Les Alimenteurs de Stéphane Horel et Brigitte Rossigneux, les agissements des principaux acteurs du secteur sur le marché français démontrent qu'il n'en est rien.

Un lobbying intense a ainsi été mené pour éviter que la publicité soit bannie des émissions de télévision destinées à la jeunesse qui reste une cible de prédilection et l'industrie s'en est tirée à bon compte avec l'obligation d'insérer dans ses spots des messages incitant à adopter une alimentation équilibrée. Il s'est poursuivi afin que les informations nutritionnelles portées sur les conditionnements des produits issus de l'industrie agro-alimentaire ne permettent pas d'identifier trop clairement les préparations aux apports anormalement élevés au regard des besoins journaliers de leur public cible.

Des groupes tels que Kraft se sont attirés la bienveillance d'un certain nombre d'acteurs des institutions de santé dont la réprobation en place publique aurait pu faire désordre. Et la multiplication des programmes et fondations en faveur de la santé et de la nutrition au sein desquels Danone, Nestlé, Ferrero ou encore Orangina Schweppes s'investissent a parachevé de lisser l'image de groupes désireux de continuer à exploiter librement l'appétence du marché pour des produits dont les teneurs en substances néfastes pour la santé ont depuis belle lurette été comprises comme les garantes du maintien de la performance commerciale.

Dans ce contexte, les versions successives du PNNS, avec les maigres cinquante millions d'euros de budget qui lui sont alloués annuellement, peuvent apparaître face aux immenses moyens publicitaires de l'industrie agro-alimentaire comme autant de coups d'épée dans l'eau. Mais l'accumulation de témoignages concordants sur le peu de considération des acteurs de cette filière pour la santé de leurs clients devrait, à terme, démystifier une communication dont, petit à petit, le cynisme devient par trop évident.

Références :

  1. 1- article extrait du livre de Michael Moss sur le site du New-York Times (en Anglais)
  2. 2- présentation du documentaire "Les Alimenteurs" sur le site de Rue89
  3. 3- données récentes sur l'obésité et le surpoids en France sur le site du journal Le Monde
  4. 4- sur le site de l'OMS, prévalence au niveau mondial de l'obésité, du diabète et des maladies cardio-vasculaires

À lire ailleurs

Gut Bacteria May Be Implicated in Rheumatoid Arthritis

Le microbiote intestinal a des interactions complexes avec notre système immunitaire. Partant d'observations sur la souris, deux immunologistes de l'école de Médecine de Harvard et de l'Université de New-York ont découvert que la bactérie Prevotella copri pourrait bien être à l'origine de la polyarthrite rhumatoïde. à ce stade, leurs recherches ont mis en évidence une corrélation entre la maladie et une présence anormalement élevée du microbe. Le lien de causalité n'a, en revanche, pas été mis en évidence mais si leurs travaux progressent dans ce sens, ils pourraient ouvrir la voie à de nouvelles thérapies préventives beaucoup plus sûres que les traitements actuels qui présentent de terribles effets secondaires.

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Preventing Malaria by Protecting Mosquitoes

Le paludisme affecte 300 millions de personnes et en tue 1,2 million par an. Transmis par un moustique, l'anophèle, il est en fait causé par son parasite, le plasmodium. Deux équipes américaines de chercheurs ont mis au point des techniques pour guérir le moustique en utilisant des bactéries. Dans le premier cas, la bactérie Wolbachia injectée aux embryons de moustiques les débarrasse du parasite et, se transmettant de génération en génération, permet de protéger toute une population. Seul bémol : les moustiques concernés sont une espèce vivant en Inde or la région du globe la plus touchée par le paludisme est l'Afrique. Dans le second cas, avec des moustiques africains, cette fois, la bactérie Pantoea agglomerans, préalablement modifiée génétiquement, libère une protéine mortelle pour le parasite dans l'organisme du moustique ... mais malheureusement la femelle ne la transmet pas à ses œufs.

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Motus sur l'addiction médicamenteuse sans ordonnances

Une équipe de pharmacologues et d'épidémiologistes, dirigée par le Professeur Roussin du centre d'addictovigilance du CHU de Toulouse, s'est intéressée à l'usage de médicaments accessibles sans ordonnance mais présentant néanmoins des propriétés psycho-actives. Leur étude menée auprès des clients de cent quarante-cinq pharmacies conclut, notamment pour deux des produits concernés, à un mésusage fréquent et à l'installation possible de dépendance pharmacologique. Au-delà de la question sanitaire, ces médicaments entraînent une baisse de vigilance et leur prise prolongée est donc susceptible de provoquer des accidents.

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Understanding Our Gut Microbes Could Lead to New Medicines

En 2012, le Human Microbiome Project a recensé les microbes vivant dans et sur le corps humain. Ses conclusions : il y'a environ dix fois plus de cellules microbiennes que de cellules humaines dans notre organisme. Leur déséquilibre est associé à de nombreuses pathologies : troubles gastro-intestinaux, diabètes, obésité ou encore inflammation. Comprendre leur mode de fonctionnement représente donc un enjeu pour le corps scientifique. Pour cela, la société Second Genome analyse l'ADN des bactéries et étudie l'activité des gènes à la fois au niveau du microbiome et de l'hôte. L'entreprise pense ainsi pouvoir aboutir à des outils thérapeutiques qui impacteraient directement les interactions entre ces bactéries et les récepteurs qu'elles ciblent dans notre corps.

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Indonésie - Plantation d'arbres fruitiers à Jakarta

Une actualité un peu plus légère pour conclure la lettre de ce mois de novembre : le maire de la capitale indonésienne a mandaté le Département d'Agriculture de sa ville pour y planter quelques 40000 arbres fruitiers à partir de la fin du mois. Outre l'aspect esthétique et la tonalité écologique de cette action, l'intérêt est de permettre aux habitants de bénéficier gratuitement de la cueillette de fruits variés en échange d'un peu d'entretien. Si quelques grandes métropoles françaises l'imitaient, les objectifs du Plan National Nutrition Santé pourraient être un peu plus vite atteints qu'en prêchant les cinq fruits et légumes frais quotidiens à des enfants qui, les ayant délaissées pour des encas excessivement riches, ont oublié jusqu'au goût des pommes.

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Crédits photographiques : Filip Gierlinski

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