Lettre d'Information Synphonat
Numéro 18 - avril 2012

Bonjour,

"Choisir, c'est renoncer", dit-on ... Choisir, c'est aussi s'engager pour chercher à changer, à tout le moins, ce qui est à notre portée.

Dans ce numéro d'avril 2012, nous avons relevé quelques pistes d'améliorations possibles, de nos habitudes de consommation - et des modèles d'organisation qu'elles favorisent - à notre façon de concevoir la santé dans nos écosystèmes.

S'il semble irréaliste de continuer sur la même voie, ces actualités nous encouragent à penser qu'en comprenant un peu mieux les phénomènes qui régissent nos vies, il est possible de progresser.

En contribuant à leur diffusion, nous pouvons décider, ensemble, de ce qui deviendra le sens commun.


L'équipe Synphonat




1. Le chocolat n'est pas pour les enfants

par Arnaud, Responsable Informatique

Hummm... En tablette, en pâte à tartiner, en poudre ou en lapins de Pâques, rien que d'y songer, on en mangerait !
Mais les coulisses des filières de fabrication du chocolat sont loin de ressembler aux décors de Charlie et la Chocolaterie, et c'est tout de suite moins appétissant...

Une étude est parue sur le travail des enfants en Afrique de l'Ouest, qui produit plus de 70% du cacao mondial, et plus particulièrement en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Cameroun, les quatre principaux producteurs de la région. Et si les résultats ne sont que des estimations, les chiffres n'en sont pas moins glaçants : pour la seule Côte d'Ivoire, plus de 625000 enfants travaillent dans les plantations de cacao. Ce qui a bien sûr des conséquences sur la scolarisation : plus de la moitié de ces enfants (de 6 à 17 ans) ne sont jamais allés à l'école. Certains sont plus exposés que d'autres : l'étude estime que, sur les quatre pays, 284000 enfants travailleraient à la machette et 153000 en lien direct avec l'utilisation de pesticides.

Le plus utilisé pour le cacao est le lindane, un puissant insecticide interdit en Europe depuis 2000, qui "présente des effets néfastes sur le foie et les reins ainsi que sur le système nerveux et le système immunitaire". Le Centre International de Recherche sur le Cancer, une organisation de l'OMS, considère qu'il "peut-être cancérigène pour l'Homme". Et pour couronner le tout, les cacaoculteurs sont peu et mal formés sur les produits chimiques qu'ils utilisent.

Certes, les plantations de cacaoyer ne sont pas les plus gourmandes en produits phytosanitaires : selon le Ministère de l'Environnement, de l'Eau et des Forêts de Côte d'Ivoire, premier producteur mondial (environ 40% de la production annuelle), les surfaces traitées représentent 5 à 15% des plantations. Il n'en demeure pas moins que 80% des puits et 90% des sols des plantations de cacao sont contaminés.
Et comme si ça ne suffisait pas, la cacaoculture est aussi une des responsables de la déforestation. D'après la FAO, la culture du cacao a fait disparaître près de 10 millions d'hectares de forêt ces 50 dernières années...

Déjà écœurés ? Attendez ça n'est pas fini...

95% de la production mondiale vient de petites exploitations (moins de 3 ha), soit environ 2,5 millions de familles qui vivent du cacao. Ou plutôt qui essaient d'en vivre, car la précieuse fève ne nourrit pas son homme. Le revenu du cacao est tellement faible qu'elle conduit les parents à n'avoir pas d'autre choix que d'enrôler leurs enfants. Dans cette même étude, l'IITA note que le revenu annuel moyen par personne dans le secteur cacaoyer est de 30 à 110 dollars, soit loin en-dessous des 1,25 dollars par jour du seuil de pauvreté...
Cerise amère sur le gâteau, la plupart de ceux qui travaillent dans les plantations de cacao, adultes comme enfants, n'ont jamais goûté de chocolat...

Tout ça pour quoi ? Pour alimenter les marchés européen et nord-américain qui consomment à eux seuls deux tiers du cacao mondial. Et la route est longue jusqu'aux rayons de nos supermarchés. Des millions de producteurs, des millions de gourmands et entre les deux, quelques entreprises qui se partagent le gâteau.
Milka, Côte d'Or, Crunch, Mars, Snickers, Nutella, ... Tant de choix, mais devinez quoi ? Derrière cette apparence de variété, cinq groupes : Nestlé, Ferrerro, Mars, Kraft Foods et Cadburry, pour près de 60% du marché européen.

Des intermédiaires "invisibles" pour le consommateur mais puissants économiquement. Les cacaoculteurs peuvent difficilement leur tenir tête, d'autant moins qu'ils n'ont généralement aucune visibilité sur les prix du marché. Les producteurs touchent en moyenne moins de la moitié du prix de la tonne de cacao sur le marché mondial, et environ 5% du prix de votre tablette de Milka.

Alors quoi ? Plus possible de céder à une folle envie de chocolat sans être torturé par sa conscience ? Rassurez-vous, il suffit de craquer bio et de croquer éthique !
Mais la part du chocolat éthique reste ridiculement faible : 0,1% du marché mondial du cacao. Le bio, lui, est un brin au-dessus : 0,5%. Pas très encourageant. Passer à la production bio et équitable pose certaines difficultés pour les producteurs : bouleversement complet du mode de production, coûts de certification, coûts plus élevés à la production (salaire de la main d'œuvre, utilisation réglementée de pesticides, etc.).
Heureusement, il y a de l'espoir. La demande des consommateurs est de plus en plus forte.
Ces dernières années, de grands groupes se sont rapprochés de la voie de l'équitable. Ainsi Kraft Foods s'est allié à Rainforest Alliance et s'est engagé d'ici à la fin de l'année 2012, "à utiliser uniquement des graines de cacao provenant de plantations certifiées par Rainforest Alliance pour l'ensemble de ses gammes Côte d'Or et Marabou, une de ses principales marques en Europe du Nord". Cadburry a annoncé en 2009 qu'en Grande-Bretagne, Irlande, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, sa fameuse barre Dairy Milk serait certifiée commerce équitable par l'organisme FLO (pour Fairtrade Labelling Organizations, qui regroupe 24 organisations de certification et de promotion du commerce équitable).

Réel tournant éthique ou faire-valoir marketing sur quelques produits bien en vue ?
Attention aux effets d'annonce : alors que certains acteurs spécialisés mettent en œuvre des démarches parfaitement cohérentes de commerce équitable, les principaux acteurs du chocolat avaient déjà signé en 2001 le protocole Harkin-Engel, s'engageant ainsi à prendre des mesures pour éliminer le travail des enfants dans les plantations de cacao. Et la marmotte... Onze ans plus tard, les engagements ne sont pas tenus et les enfants cueillent toujours les cabosses de cacao à la machette.

Références :


2. De l'énergie à revendre ?

par Fabien, Responsable du site de Villemur-sur-Tarn

L'illusion de maîtrise qui caractérise l'Homme l'aveugle parfois au point d'entretenir un dangereux immobilisme. Pourtant il est de plus en plus clair que notre développement ne peut pas durablement se poursuivre selon le même modèle.

En effet, nous sommes déjà confrontés à une crise grave de la biodiversité. L'humanité fait partie de cette diversité biologique et en dépend de multiples façons.

Tous les voyants sont au rouge : le taux d'extinction des espèces animales et végétales - le rythme de destruction des écosystèmes - s'accroît de jour en jour et est d'ores et déjà mille fois supérieur à son niveau naturel.

La biodiversité disparaît en raison, entre autres, de la destruction des habitats, de l'utilisation d'espaces naturels à des fins agricoles ou d'urbanisation, du changement climatique, de la pollution.

La Nature n'est plus en mesure de supporter les effets collatéraux de l'activité humaine, par ailleurs surconsommatrice d'énergies fossiles.

Ainsi le fameux "peak oil", c'est-à-dire le moment où la production de pétrole atteint son maximum, est déjà derrière nous (2006 selon l'Agence Internationale de l'Energie), ce qui signifie, dans la configuration du moment, que les besoins vont augmenter (les populations des pays émergents aspirent, elles aussi, à accéder à une vie d'immodération) et les prix ne plus jamais baisser car les réserves s'épuisent. Le modèle de développement enclenché au début du XXème siècle et construit autour du pétrole à bas coût semble donc bel et bien révolu.

Ces perspectives semblent sombres ... mais un autre scénario est également imaginable !
Quand de nouveaux régimes émergent, qu'une révolution de la communication se combine à une révolution de l'énergie, alors les conditions pour changer de modèle de développement sont réunies.
Qu'Internet bouleverse les individus au point de faire l'Histoire, c'est établi. Il suffit de nous rappeler ce que nous étions il y a 10 ans pour comprendre que nous ne sommes plus les mêmes et constater avec quelle rapidité nous nous sommes adaptés aux bouleversements apportés par les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Mais comprendre "la révolution de l'énergie" est moins évident.

Jeremy Rifkin, dans son ouvrage "la Troisième Révolution Industrielle" la théorise et l'explique clairement. Cette révolution de l'énergie consiste "tout simplement" à faire de chacun d'entre nous un producteur d'énergie partagée, tout comme l'information sur Internet.

Comment devenir producteur d'énergie ?
En faisant de chaque habitation un immeuble ou une maison à énergie positive c'est à dire un bâtiment qui produit plus d'énergie qu'il n'en consomme (efficacité énergétique et réduction des besoins de chaleur, de climatisation, d'électricité) et capable de stocker ses excédents de production. Chaque foyer devenant une véritable centrale électrique autonome et décentralisée se suffira à lui-même et pourra partager ses surplus de production.

Finies, donc, la production et la distribution centralisées (ou pyramidales) de l'énergie et bienvenue à la production dite "distribuée" (locale et de proximité). À titre d'exemples, des communautés comme le Pays de Mené, en Bretagne, la bourgade de Güssing en Autriche ou encore le village de Schönau en Allemagne, se sont déjà affranchies avec succès du modèle centralisé en atteignant l'autosuffisance énergétique à partir de la production d'énergies renouvelables.

Mais concrètement, comment partage-t-on cette énergie ?
C'est là qu'interviennent les NTIC : Si la volonté politique est au rendez-vous, il devrait bientôt être possible de partager l'électricité en "pair à pair" sur des réseaux intelligents (smart grids), exactement comme la culture ou l'information. Quand chacun deviendra ainsi producteur de ce qu'on appelle la production distribuée, des centaines de millions de personnes auront de la puissance et pourront donc exercer une forme de pouvoir, ce qui inévitablement engendrera d'énormes conséquences pour la vie sociale.
On peut se l'imaginer, en observant les conséquences qu'a eues le partage de la culture et de l'information en pair à pair sur des modèles économiques qui semblaient immuables (l'industrie du disque, du film, de l'information). Le partage a cassé les logiques propriétaires et permis ainsi une diffusion auprès du plus grand nombre, des œuvres, de la culture, de l'information. Ce nouvel accès à la culture a créé un nouveau rapport à l'œuvre (qu'est ce qu'une œuvre ? à qui appartient elle ? pendant combien de temps ? quelle est sa vocation ? son usage ?), mais aussi une redistribution du pouvoir (d'informer, de divertir, etc.).

Il y a donc fort à parier que, n'étant plus clients captifs mais "consomm-acteurs", nous poussions non seulement le modèle économique de production et de distribution de l'énergie à évoluer mais aussi notre modèle de relation sociale. L'une des priorités politiques pour les prochaines années va donc consister à repenser le modèle du marché pour l'adapter à cette nouvelle révolution industrielle "distribuée" et "coopérative" et organiser un nouveau type de société post-carbone.

Un chantier ambitieux mais bigrement excitant.

Références :


3. Bactéries, antibiotiques et allergies

par Frédéric, Responsable Marketing Multicanal

Il y a déjà quelques mois de cela, une bactérie a fait la Une de toutes les gazettes. Il s'agissait de l'Escherichia coli et c'était dans le contexte un peu particulier d'une crise sanitaire. Depuis lors, nous avons eu plusieurs occasions d'évoquer l'intérêt de certaines bactéries, notamment pour les voies d'expérimentation qu'elles permettent d'explorer.

Aujourd'hui, des perspectives insoupçonnées s'ouvrent en matière de biologie de synthèse et dans son pendant en exploitation : la biologie industrielle. Des équipes de recherche et des entreprises s'intéressent en particulier aux débouchés que présentent les propriétés des bactéries dans les filières agricole, énergétique et pharmaceutique. Ces travaux sont aussi fascinants qu'à certains égards ils sont inquiétants. Comment ne pas craindre, en effet, qu'une bactérie altérée ou créée de toute pièce interagisse de manière inattendue avec le vivant ? Comment ne pas interroger non plus les velléités de grands laboratoires, semenciers ou groupes pétroliers quant au dépôt de brevet verrouillant l'exploitation de technologies reposant essentiellement sur les propriétés natives des bactéries ?

Car, à mesure que progressent les connaissances et que convergent les savoir-faire en ingénierie, en chimie, en informatique et en biologie moléculaire, toute l'ingéniosité mise en œuvre par ces microorganismes présente un intérêt économique de plus en plus évident.

Une récente étude publiée dans la revue Nature Medicine en fournit une illustration ... À l'origine des travaux de David Artis, de l'Ecole de Médecine Vétérinaire de Pennsylvanie, un constat alarmant : "les troubles allergiques ont atteint des niveaux pandémiques".

Or, si chacun sait que les allergies sont causées par une combinaison de facteurs environnementaux et alimentaires, les mécanismes qui déclenchent l'apparition de la réaction allergique restaient mal connus. Certains indices laissaient penser que l'une des causes de l'allergie provient de la sphère digestive et en particulier de l'intestin. Des études épidémiologiques avaient en effet permis d'établir un lien entre les variations au sein des espèces de bactéries commensales - les quelques milliards de microorganismes qui résident dans notre colon - et le développement des pathologies allergiques. Les immunologistes savaient, par ailleurs, que les molécules-signaux émises par certaines de nos cellules immunitaires servaient de médiateurs à l'inflammation allergique.

Des études sur l'animal ont fourni l'explication manquante du lien entre ces deux phénomènes en montrant que les bactéries commensales influaient directement sur l'inflammation.
Dès lors, l'objectif pour Artis et son équipe était de déterminer COMMENT.

Pour y parvenir, ces chercheurs ont administré à des souris un large éventail d'antibiotiques oraux ayant différents niveaux d'efficacité. Ils ont ainsi procédé à la diminution ou à l'élimination de leurs populations de bactéries commensales, puis surveillé l'évolution de différents paramètres immunologiques. Ils ont alors observé que les souris traitées aux antibiotiques présentaient des niveaux accrus d'anticorps de classe IgE, connus pour leur importance dans la survenue de l'asthme et des allergies. Ces anticorps en surnombre provoquaient, à leur tour, une augmentation des niveaux de basophiles, cellules immunitaires qui déversent l'histamine et activent ainsi la réaction inflammatoire notamment allergique.

L'action des traitements antibiotiques et des IgE a en fait favorisé la prolifération des cellules précurseurs des basophiles dans la moelle osseuse, en l'absence des bactéries commensales qui normalement la limitaient. C'est là la réelle percée de cette découverte : jusqu'alors, si l'on savait que les IgE servaient de médiateurs à l'allergie, on ignorait en revanche que certaines des bactéries constitutives de notre flore intestinale régulaient le développement de cellules précurseur présentes, elles, dans notre moelle osseuse.

Les experts étaient dépassés par l'explosion de la prévalence des pathologies allergiques et de l'asthme depuis quelques années et cet article suggère clairement que le recours massif aux produits antibactériens (antibiotiques) pourrait bien en être la cause. Il est en outre probable que, par un mécanisme similaire, les bactéries commensales jouent également un rôle dans l'apparition d'autres types de pathologies, du cancer à certaines maladies auto-immunes.

Face à la formidable complexité des mécanismes à l'œuvre au sein même de nos organismes, ces résultats nous rappellent qu'avant d'aller jouer les apprentis sorciers en manipulant l'infiniment petit selon nos desseins, il est nécessaire de progresser encore dans notre compréhension du vivant. Ils ouvrent par ailleurs la voie à une réflexion sur le statut à accorder à ce type de découvertes pour faire en sorte que les inventions qui peuvent en découler bénéficient à tous et non pas aux seuls intérêts de quelques acteurs abusant d'une réglementation de la propriété intellectuelle taillée sur mesure.

Références :

Crédits photographiques : Fabrice Lejoyeux, Lolay, WoodleyWonderWorks, Billy Gast

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