Pourtant, cette irrationnalité est profondément ancrée dans nos modes de fonctionnement, notamment en raison de biais cognitifs que certains estiment issus de l'évolution de notre espèce.

  • Le paradoxe de Monty Hall nous en fournit une bonne illustration : Pour résumer, d'une part, en situation de choix impliquant plus de 2 options, il semblerait que nous perdions une partie de notre capacité d'analyse. D'autre part, lorsque nous avons déjà opté pour une solution, nous privilégions tous les arguments qui tendent à nous conforter dans cette option, quand bien même les données du problèmes auraient changé entre temps.

  • La théorie des jeux est également riche d'illustations très concrètes des contradictions induites par les comportements individuels qui conduisent inéluctablement à un équilibre non optimal. A titre d'exemple, le Dilemme du Prisonnier montre que dans une situation où deux joueurs auraient objectivement intérêt à coopérer, mais où les incitations à trahir l'autre sont fortes, la coopération n'est jamais sélectionnée par un joueur rationnel lorsque le jeu n'est joué qu'une fois. Egalement instructif, le Problème des Marchands de Glace corrobore l'idée que si chacun raisonne individuellement selon son intérêt, il en résulte une situation pire que si les acteurs se concertaient.

A l'échelle collective, on s'efforce de résoudre un certain nombre de problèmes en dépassant ces limites présentes chez les individus.

Les mécanismes d'intelligence collective, très théorisés depuis quelques décennies, font l'objet d'un regain d'intérêt lié particulièrement à l'essor des technologies "sociales" qui ont donné le jour à des outils aujourd'hui incontournables tels que Google ou encore Wikipedia. Les réseaux informatiques permettent de mobiliser des communautés auparavant éparses. En parallèle, les complémentarités entre les dynamiques de groupe et des ressources informatiques rendues universellement accessibles se développent et se diversifient. Dans ce contexte, il est probable que la connaissance de ce qu'est l'intelligence collective et des manières de l'utiliser de manière optimale n'en est qu'à ses babutiements. Préalables à toute expérimentation en la matière, les travaux d'une équipe du Centre pour l'Intelligence Collective du Massachusetts Insitute of Technology ont porté sur la mesure de l'intelligence collective.

Or ces travaux semblent démontrer que, d'une certaine manière, l'intelligence collective souffre également de biais qui lui sont propres. Ainsi, ces recherches ont abouti à la conclusion que là où l'on pourrait penser qu'un groupe composé des personnalités les plus brillantes serait d'une efficacité incomparable, l'étude de la corrélation entre les quotients intellectuels des membres du groupe et ses performances révèle des enseignements assez surprenants.

À en croire les résultats de ces recherches dirigées par Thomas Malone du MIT et Anita Woolley de l'Université de Carnegie Mellon, le succès de la collaboration d'un groupe serait intimement lié à ce que l'équipe de chercheurs a nommé le "Facteur C" : une combinaison de variables dont ressort essentiellement la sensibilité sociale des membres du groupe, en quelque sorte leur propension à l'empathie.

Contrairement à une idée reçue, on obtiendrait donc de meilleurs résultats en se concentrant non pas sur l'intelligence individuelle des personnes amenées à collaborer (telle que mesurée par le Quotient Intellectuel), mais plutôt sur leurs aptitudes sociales.

Dans le cadre des recherches du Centre pour l'Intelligence Collective, ces découvertes ont un impact direct sur la réponse à la question de fond qui préoccupe les chercheurs : comment "connecter" au mieux les personnes et les ressources informatiques pour que, collectivement, elles produisent de meilleures décisions ?

D'ici quelques années, les suites de ces travaux sont susceptibles d'influer considérablement sur la façon dont nous concevons le travail de groupe.

Mais, d'ores et déjà, dans nos entreprises, associations, organes de gouvernances, des progrès considérables pourraient vraisemblablement être réalisés en évinçant les insensibles des processus de décision collective ou, pour le formuler de manière plus positive, en y favorisant sciemment l'émergence de personnalités véritablement douées d'intelligence relationnelle.