Valeurs Nature

33 - octobre 2013

La Lettre d'Information de Synphonat

Dossier d'octobre
Marketing pharmaceutique :
Quid de la santé ?

Dossier d'octobre - Marketing pharmaceutique : Quid de la santé ?

En juin 2009, France 5 diffusait pour la première fois le documentaire "Les Médicamenteurs". Réalisé par Stéphane Horel sur la base des informations recueillies par deux enquêtrices du Canard Enchaîné, ce film didactique mettait en lumière la préoccupation avant tout mercantile de l'industrie pharmaceutique.
La classe politique était égratignée au passage pour sa complaisance à l'égard de groupes fréquemment cités comme les fleurons de la recherche et de l'économie françaises.
Oui mais voilà, le problème c'est qu'on ne vend pas des produits destinés à la santé comme l'on vend des chips ou des sodas (nous y reviendrons d'ailleurs prochainement...).

La mise sur le marché des médicaments, tout comme leur promotion, est strictement encadrée par la loi. Il faut, pour qu'une nouvelle spécialité puisse être commercialisée, et si possible remboursée par la Sécurité Sociale, apporter la preuve de son innocuité et de son apport à l'arsenal de santé (la fameuse "Amélioration du Service Médical Rendu"). Et pour ensuite en favoriser la prescription, il faut savoir parler aux médecins et autres professionnels de santé.

Certains groupes pharmaceutiques ciblent l'esprit scientifique

Si des groupes pharmaceutiques n'hésitent pas à les prendre par les sentiments en organisant force congrès sous des latitudes judicieusement choisies pour parfaire un bronzage, certains - parfois les mêmes - ciblent l'esprit scientifique et cherchent à convaincre leurs interlocuteurs par une argumentation technique.

Quoi de plus normal ? On démontre par des études scientifiques que la molécule et/ou le produit qui en découlent sont sains et efficaces dans la prévention / le traitement de pathologies cibles (les indications qui figureront sur la notice du médicament).

A priori, rien à redire : en connaissance des résultats de ces études, le professionnel de santé averti est certain d'appuyer ses choix sur du solide au moment de rédiger son ordonnance.

C'est même une source de revenus non négligeable pour les revues scientifiques, auprès desquelles les laboratoires commandent des tirés à part des publications favorables qui sont remis à leurs visiteurs médicaux. Ces derniers informant en toute objectivité les futurs prescripteurs potentiels (cf dossier de septembre), autant dire que la rigueur scientifique de l'information dont dispose le corps médical est garantie.

Vous commencez à tiquer ? Vous avez bien raison. Car si les forces de vente des grands noms du médicament recourent si volontiers à ces revues comme s'il s'agissait de documentation commerciale, c'est parce qu'ils ont su les intégrer avec une certaine subtilité à leur dispositif promotionnel.
Et pour cela, ils n'ont eu qu'à exploiter les failles de leur système de fonctionnement : le besoin de financement, la nécessité de disposer d'articles scientifiques qualitatifs (donc reposant sur des travaux de recherche souvent onéreux) pour répondre aux attentes de leur lectorat et le recrutement de pairs, scientifiques reconnus, pour en assurer la sélection (peer review).
La dépendance financière des revues scientifiques vis à vis des laboratoires, nous l'avons évoquée plus haut : la vente de tirés à part représente pour certaines d'entre elles jusqu'à 32% de leurs ressources.
La relecture par des pairs a déjà fait l'objet de nombreuses critiques notamment quant à sa lourdeur et quant à son inefficacité à identifier la fraude ou le plagiat. À tel point que le Parlement Britannique a compilé en 2011 quatre-vingt-dix rapports d'experts pour faire le point sur le sujet. Il en ressort que, dans l'ensemble, le mécanisme de peer review apparaît aux initiés comme la moins mauvaise procédure à l'heure actuelle pour filtrer les publications scientifiques méthodologiquement fiables et dignes d'intérêt.

C'est sur ces études, celles qui passent le cap de la publication, que nous souhaitons nous appesantir, celles-là mêmes qui constituent le socle de la crédibilité des prestigieuses revues dans les colonnes desquelles les équipes de recherche du monde entier aspirent à voir un jour leurs travaux dévoilés.

Les revues, infiltrées par la démarche promotionnelle des laboratoires

Plusieurs articles récents révèlent en effet qu'elles ont été infiltrées par la démarche promotionnelle des laboratoires pharmaceutiques.
Une étude rendue publique lors du Peer Review Congress de l'American Medical Association qui s'est tenu à Chicago début septembre pointe ainsi du doigt les essais médicamenteux dont un cinquième seraient conduits à des fins essentiellement promotionnelles, les démonstrations techniques qu'ils contiennent ne représentant pas d'avancée substantielle pour la connaissance scientifique.
Le numéro d'octobre de la Revue Prescrire va plus loin et consacre un dossier à l'utilisation des publications scientifiques dans le marketing pharmaceutique. La planification de publication d'articles dans les revues y est décortiquée comme une stratégie marketing à part entière, où entrent en jeu des chercheurs anonymes et des leaders d'opinion recrutés uniquement pour apporter leur caution aux travaux proposés à la publication.
Or évidemment, tous les travaux de recherche ne produisent pas systématiquement les résultats espérés par les laboratoires dont les médicaments sont étudiés. Dans bien des cas, les essais sont avortés faute d'effets statistiquement probants ou, pire, en raison d'observations allant à l'encontre de la démonstration recherchée (effets indésirables).

A contrario, jusqu'à une période très récente, les publications dont la validité était remise en cause a posteriori faisaient rarement l'objet d'une rétractation officielle - ou tout du moins cette dernière ne rencontrait-elle, contrairement à la publication initiale, aucun écho médiatique. Ces rétropédalages pourtant importants passaient tellement inaperçus que deux journalistes spécialisés ont décidé de consacrer un blog à la question : Retraction Watch.

L'industrie pharmaceutique peut donc sans prendre de grand risque initier à tout va des essais médicamenteux pour ne soumettre au final à la publication que les seuls travaux corroborant l'effet thérapeutique de ses spécialités.

La menace d'une divulgation des études non publiées

Cela pourrait cependant changer, sous l'impulsion de Peter Doshi de l'École de Médecine de l'Université John Hopkins, à Baltimore, aux États-Unis.
Avec d'autres experts, il est l'auteur d'une déclaration demandant que les études non publiées soient restaurées afin de permettre à tout un chacun d'avoir connaissance de l'ensemble des résultats, probants ou non, des essais médicamenteux. Il propose que, en l'absence de communication volontaire de la part des laboratoires, les données tombent automatiquement dans le domaine public, ouvrant la voie à une exploitation par des chercheurs indépendants.
Pour les médecins, comme pour leurs patients, cela garantirait au moins la possibilité d'accéder à une information moins parcellaire pour fonder leurs prescriptions et leurs stratégies de santé.

Pour l'heure, le British Medical Journal et PLOS Medicine ont adhéré à cette règle. Il faut cependant relativiser la portée de cette initiative : même si l'ensemble des revues scientifiques faisant autorité en matière de santé l'adoptent, cela ne remettra pas entièrement en cause l'instrumentalisation à visée marketing du système de publication par les laboratoires pharmaceutiques. Mais cela devrait tout au moins les empêcher de se l'approprier pour promouvoir des spécialités dont ils savent l'efficacité toute relative sans risque de voir leur réputation et celle de leurs produits menacées... Ça serait toujours ça de gagné.

Références :

  1. 1- présentation du documentaire "Les Médicamenteurs" sur le site de Rue89
  2. 2- newsletter Synphonat de septembre
  3. 3- rapport du Parlement Britannique sur le peer review (format PDF, en Anglais)
  4. 4- article de la Revue Prescrire sur l'utilisation de publications scientifiques à des fins promotionnelles
  5. 5- article du blog Rédaction Médicale et Scientifique présentant les abstracts du Peer Review Congress
  6. 6- Retraction Watch, blog de suivi des rétractations de publications scientifiques (en Anglais)
  7. 7- article du British Medical Journal concernant l'initiative de Peter Doshi et consorts (en Anglais)

Actualité Synphonat

Un instant clé de la vie de notre coopérative

Au terme de douze ans de gérance, Jean-Claude La Haye, l'un des fondateurs de notre SCOP, a décidé de passer le relais. Les associés de Synphonat se sont réunis ce 19 octobre et ont élu Fabien Besançon, jusqu'alors directeur du site de Villemur-sur-Tarn, à la tête de notre entreprise.

Dans la continuité de la ligne de travail de son prédécesseur, il souhaite porter le développement de notre structure en tablant toujours sur l'innovation produit. Sa sensibilité personnelle sur le sujet devrait accélérer notre engagement dans une démarche générale de développement durable.

Pour vous, c'est la garantie que Synphonat restera fidèle à ses principes humains et environnementaux pour vous proposer les solutions de santé et de bien-être les plus qualitatives.

À lire ailleurs

Dans les articles que nous avons retenus ce mois ci, entre l'ambition démesurée de certains projets et les turpitudes que doit désormais assumer le genre humain, on s'interroge parfois sur notre capacité à agir. Fort heureusement, des avancées plus modestes nous démontrent que, par une compréhension plus terre à terre de notre réalité, nous pouvons aussi changer les choses.

L'OMS classe cancérigène la pollution de l'air extérieur

Le Centre International de Recherche sur le Cancer de l'OMS classe depuis quelques jours la pollution atmosphérique parmi les "cancérogènes certains pour l'être humain". Ses experts ont conclu à l'existence de preuves de l'implication de la pollution de l'air dans l'apparition d'environ 10% des cancers du poumon et dans l'accroissement du risque de survenue d'autres cancers.

lire l'article de France Info

télécharger le communiqué de presse du CIRC (format PDF, en Anglais)

This anti-tremor spoon could make it easier for Parkinson's patients to eat

FastCompany présente une invention qui pourrait simplifier la vie des malades atteints de Parkinson : Lift Labs, un groupe de scientifiques et d'ingénieurs installé à San Francisco, a mis au point un manche de cuillère qui compense les tremblements induits par cette maladie neurodégénérative concernant 150000 personnes en France. En attendant que les nombreux travaux engagés pour freiner l'évolution de cette maladie aboutissent, des idées simples comme celle-ci peuvent sensiblement améliorer le confort de ceux qui souffrent au quotidien de ses désagréments.

lire l'article (en Anglais)

How Existing Drugs Could Fight Resistant Bugs

Lejla Imamovic et Morten Sommer de l'Université Technique du Danemark à Lyngby ont étudié l'Escherichia coli et découvert que lorsque la bactérie développait une résistance à un antibiotique spécifique, sa sensibilité à certains autres antibiotiques s'en trouvait accrue. Au lieu de multiplier les traitements de manière aléatoire, ces biologistes des systèmes ont déterminé in vitro qu'une séquence d'antibiotiques administrés dans un ordre précis pouvait donc s'avérer beaucoup plus efficace.

lire l'article (en Anglais)

Un cerveau, deux projets

Internet Actu compare les deux principaux projets, l'un porté par l'Europe, l'autre par les états-Unis, de cartographie du cerveau humain et évoque quelques initiatives qui, quoi que de moindre envergure, semblent prometteuses. En jeu, notre capacité à comprendre et à répliquer le fonctionnement de cet organe complexe qui pilote l'ensemble du système nerveux.

lire l'article

Climate Change 2013: The Physical Science Basis

Le constat des experts du GIEC est désormais sans appel : l'activité humaine est probablement la cause principale des récents dérèglements climatiques. Le rapport publié le 27 septembre à l'intention des décideurs politiques est assez détaillé mais le tableau récapitulatif synthétise assez clairement : le réchauffement va certainement se poursuivre et il est fort probable que le niveau des eaux continue à s'élever et que vagues de chaleur et épisodes de précipitations extrêmes se multiplient.

télécharger le communiqué de presse du GIEC (format PDF)

télécharger le rapport (format PDF, en Anglais)

Crédits photographiques : Carly & Art

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